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Corinne Mrejen (Les Echos – Le Parisien) : « La presse n’est pas en crise, elle est en transformation profonde »

Corinne Mrejen (Les Echos – Le Parisien) : « La presse n’est pas en crise, elle est en transformation profonde »
Corinne Mrejen dirige la régie du Groupe Les Echos - Le Parisien

Interview du lundi. La filiale médias et événementielle de LVMH poursuit sa transformation, fort de ses deux marques de presse ombrelles, Les Echos et le Parisien. La stratégie de conquête lui permet de toucher 30 millions de Français et revendique près de 200 000 abonnés payants.

Parallèlement, le groupe accélère dans la vidéo et l’audio en investissant grâce au soutien de son actionnaire LVMH. Comment la régie adapte-t-elle son offre à ces nouveaux enjeux ? Comment Le Parisien prépare-t-il les JO de Paris ? Quelle stratégie en matière de RSE ? Corinne Mrejen, DG des Echos – Le Parisien Partenaires et chief impact officer est l’invitée du lundi.

100% Media : Quel bilan faites-vous de ce début d’année ?

Corinne Mrejen : Un début d’année reflet de la fin d’année 2022 avec un marché toujours prudent et des tensions sur certains secteurs comme la tech. A contrario, il faut noter la bonne santé du luxe, du retail et du tourisme. Des signaux positifs avec la reprise depuis mars de certains secteurs comme l’automobile, qui repartent à la hausse sur des segments plus premiums. Ce sont des secteurs attentifs aux croissances d’audience et à la qualité des contextes. Cela favorise un arbitrage en faveur de marques médias les plus premiums.

100% Media : Dans un contexte d’érosion de la diffusion papier, notamment du Parisien, comment vous adaptez-vous ?

C.M : Il faut revenir sur l’idée reçue que la presse va mal. La presse n’est pas en crise, elle est en transformation profonde. Cela fait de moins en moins sens de distinguer les audiences print et numériques des marques natives de la presse. Nos usages sont totalement hybrides. Les marques de PQN ont été les premières à anticiper la transformation de la consommation média, grâce à des investissements conséquents. Concrètement, cela nous permet aujourd’hui de revendiquer une puissance et des niveaux d’audiences records. 20 millions de Français touchés chaque mois pour Le Parisien, 10 millions pour Les Echos. L’attrait envers l’édition papier reste fort pour les lecteurs. On le retrouve dans la consultation des versions numériques pdf. Le journal papier reste très statutaire. Les dirigeants, les politiques et bien d’autres veulent s’exprimer dans le quotidien. Et si nous zoomons là encore sur les audiences PQN, le Print progresse notablement : +100 000 nouveaux lecteurs sur une vague et +700 000 sur un an, selon ACPM OneNext Global. Le Parisien enregistre un record d’audience historique avec près de 2,6M de lecteurs chaque jour en LNM. Le titre gagne en une vague +93 000 lecteurs quotidiens et progresse pour la 4ème vague consécutive. Les Echos enregistre également un record d’audience historique avec près de 800 000 lecteurs quotidiens ; en progression pour la 4ème vague consécutive.

Avoir LVMH comme actionnaire nous laisse le temps de la transformation profonde de notre industrie.

Corinne Mrejen

100% Media : Avoir comme actionnaire un groupe comme LVMH est-il une force ou parfois une contrainte ?

C.M : Comme le rappelle souvent Pierre Louette (PDG du groupe Les Echos-Le Parisien) « les acteurs médias privés ont besoin de s’appuyer sur des actionnaires solides ». C’est une force et une chance. Pierre rappelle également à juste titre que « cet actionnariat nous permet de concilier les urgences du temps court et les vertus du temps long ». Cela se traduit aussi par des valeurs communes autour de l’entrepreneuriat, de l’impact et de la sustainability, de l’innovation et la tech. C’est majeur car cet actionnariat nous laisse aussi le temps de la transformation profonde de notre industrie : nouveaux usages, nouvelles écritures. C’est un soutien de notre stratégie d’acquisition qui vise à renforcer nos points forts (économie, finance, musique classique, art…), et à poursuivre nos développements, notamment dans la tech.

100% Media : Les Echos et Le Parisien sont deux marques avec des cibles et ADN très différents. Comment votre offre peut-elle rester claire auprès du marché ?

C.M : On ne commercialise pas une régie, mais des marques médias. Notre valeur ajoutée réside dans les aspérités de chacune de nos marques, mais aussi dans la complémentarité de leurs traitements éditoriaux, et de leurs audiences. C’est au contraire une très grande chance car nous avons des audiences complémentaires qui nous offrent la capacité unique d’être puissants et affinitaires, à la fois sur le BtoB et le BtoC. Cette spécificité nous permet de concevoir des dispositifs « sur-mesure » sur chacune de nos marques, prenant en compte leur ADN, avec des narratifs et des écritures adaptées à nos audiences. Pour l’illustrer, je peux citer « Planète Action », notre Grand Programme de Communication déployé tout au long de 2022 avec le soutien d’AXA. Planète Action a pour ambition de faire émerger la nouvelle génération de l’économie responsable, sociale et solidaire. Le principe : des personnalités de la société civile reviennent dans leur lycée d’origine pour dialoguer avec des lycéens. Ici, le traitement éditorial vient enrichir l’événement sous l’angle de la pédagogie et des témoignages pour Le Parisien et sous l’angle de l’économie et l’entrepreneuriat pour Les Echos.

100%Media : Le nombre d’abonnés payants augmente pour Les Echos et Le Parisien, malgré un important retard. En quoi cela est-il une bonne nouvelle pour la régie publicitaire ? Comment monétisez-vous les abonnés payants ?

C.M : Les Echos a été précurseur dans le développement des abonnements, en particulier numériques. En 10 ans, Les Echos a vu le nombre de ses abonnés progresser de 45%. Fin 2022, Les Echos a franchi le cap des 100 000 abonnés, qui sont pour 3/4 des abonnés numériques, contrairement à 1 pour 6 il y a 10 ans. C’est le fruit d’une transformation numérique réussie. Le Parisien/ Aujourd’hui en France est parti plus tard, mais la courbe est vraiment positive. C’est une marque qui a encore une importante part de ses ventes en kiosques. C’est une spécificité, sa structure est très équilibrée entre abonnés Print, vente au numéro, diffusion numérique. L’achat en kiosque prouve d’ailleurs l’attractivité d’une marque, sa popularité. C’est un média qui suscite l’acte d’achat tous les jours, avec des actualités qui fédèrent et qui donnent envie. Le Parisien/Aujourd’hui en France comptabilise 145 000 abonnés dont 82 000 abonnés numériques, selon l’ACPM. La dynamique est vraiment parlante car la marque ne dénombrait que 9 000 abonnés numériques il y a 5 ans. Près de dix fois plus aujourd’hui.

Au global, sur l’ensemble de nos marques médias, le groupe Les Echos-Le Parisien rassemble plus de 500.000 abonnés payants. En termes de monétisation, sur l’univers digital, les abonnés payants ne sont pas exposés aux publicités classiques mais ils sont touchés par nos Opérations Spéciales, par les dispositifs brand-content.

La vidéo est une priorité stratégique du Groupe.

Corinne Mrejen

100%Media : La vidéo est un axe stratégique très fort dans votre proposition éditoriale. Comment avez-vous structuré votre offre, notamment commerciale ?

C.M : La vidéo est une priorité stratégique du Groupe. C’est un usage majeur de nos audiences et notamment pour les plus jeunes. Côté éditorial, le pôle vidéo du Parisien est composé d’une trentaine de collaborateurs. En seulement quelques années, le pôle a su acquérir un vrai leadership. En mars 2023, Le Parisien vidéo enregistre 137M de Vidéos Vues toutes plateformes confondues (données éditeur). Comme exemple, la vidéo du Parisien sur le refus de Blanche Gardin de participer à l’émission « LOL » a rencontré un grand succès avec près de 5M de vues sur l’ensemble de ses réseaux. Côté régie, nous accompagnons la stratégie de croissance des éditeurs de deux façons, avec la progression de volume en publicité classique et avec le développement du brand-content. Je peux vous annoncer que pour conforter cette stratégie, nous créons une cellule commerciale audio-vidéo, avec des équipes dédiées, expertes dans la production de brand-content et de dispositifs sur-mesure.

100%Media : Votre offre audio, notamment de podcasts remporte un grand succès en nombre d’écoute. Quelle est votre stratégie de monétisation dans un contexte où il est compliqué de générer de la valeur sur ce type d’inventaires ?

C.M : Sur l’audio digital, les podcasts des Échos et du Parisien constituent la première offre de podcasts natifs d’actualité en France, avec en moyenne 1.7M d’écoutes mensuelles, selon l’ACPM. Parmi les récents épisodes qui enregistrent de très bonnes audiences : « la révolution ChatGPT » de La Story (Les Echos) ou une enquête sur la « Milice Wagner » de Code Source (Le Parisien) qui a fait 100 000 écoutes cumulées à date. Un mot d’ailleurs sur le podcast d’actualité du Parisien qui célèbre aujourd’hui même son 1000ᵉ épisode. Un épisode enregistré en public à l’auditorium du Groupe Les Echos – Le Parisien dans lequel Jules Lavie accueille Camille Combal. Code source, c’est une très belle histoire, avec un vrai ton, une patte propre. C’est aussi un succès en étant l’un des podcasts natifs les plus suivis en France. Depuis son lancement, il cumule plus de 38.5 millions d’écoutes.

En parallèle, nous avons également reconduit Acast pour l’hébergement et la monétisation des podcasts édités par Les Echos et Le Parisien, en complémentarité de notre propre commercialisation. De façon plus générale sur la monétisation des podcasts, il faut reconnaître qu’à date personne n’a encore trouvé la martingale. La monétisation finira par rejoindre l’usage. De notre côté, nous sommes résolument positionnés sur un modèle à valeur, c’est la stratégie centrale de la régie.

100%Media : Le marché du podcast est globalement sous-monétisé… comment l’expliquez-vous ?

C.M : Il y a souvent un décalage entre les usages et la monétisation. Sur le podcast il nous faut inventer une façon de monétiser sans transposer les réflexes d’autres médias. C’est pour cela que notre nouvelle cellule commerciale audio-vidéo, que j’ai évoquée, renforcera également la monétisation des podcasts. Cette écriture éditoriale est extraordinaire et si le brand content permet de financer ces développements, c’est très bien. Nous en avons une parfaite illustration avec le lancement de « Mission décarbonation », un dispositif audio inédit autour de notre podcast La Story. « Mission décarbonation » est un hors-série du podcast des Echos en cinq épisodes, proposé par EDF et qui revient sur le parcours d’entreprises qui ont entamé leur démarche de décarbonation. Vous pouvez déjà écouter les 2 premiers épisodes intégrés nativement dans le flux de La Story.

Notre ambition consiste à ce que l’association aux Jeux Olympiques et Paralympiques soit moteur de sens.

Corinne Mrejen

100%Media : Les deux années à venir seront très riches en événements sportifs. Le Parisien sera au cœur des JO de Paris 2024. Que proposez-vous aux annonceurs qui semblent très motivés à l’idée de s’associer à cet événement ?

C.M : Les Jeux Olympiques et Paralympiques représentent une actualité forte pour nos rédactions et tout particulièrement pour celle du Parisien. Le Parisien est très légitime, il s’agit de la 1ère rédaction sportive de Presse Quotidienne Généraliste. Sa rédaction est déjà fortement mobilisée et possède un ancrage unique en IDF, la marque de proximité des Franciliens.
Le top départ des Jeux Olympiques de Paris 2024 a été donné à J-1000. Un dispositif éditorial d’envergure est déjà installé, avec une approche spécifique qui dépasse le cadre de la performance sportive : société, économie, territoires, culture, vidéo.

Nous proposons 5 axes autour de grandes valeurs créatrices de nouveaux imaginaires, Transmission, Travail, Persévérance, Partage et Héritage. Ces axes sont enrichis de tous nos formats créatifs, vidéo, audio, récit-molette, cartoquizz et quizz. Sur l’axe de la transmission, il s’agit par exemple de favoriser la rencontre entre la jeunesse française et de grands champions. L’axe de l’héritage pourrait quant à lui, mettre en avant les territoires à travers les préparatifs et les festivités des villes qui accueillent les Jeux. Notre ambition consiste à ce que l’association aux Jeux Olympiques et Paralympiques soit moteur de sens.

La régie noue un partenariat avec l’adtech « xpln.ai » pour mesurer et optimiser l’attention publicitaire.

Corinne Mrejen

100%Media : Comment redonner de la valeur aux inventaires publicitaires des marques médias françaises comme les vôtres ?

C.M : Nos médias ont pour vocation première de s’adresser à des audiences et de les servir. La monétisation vient dans un second temps et permet de les développer.

Notre stratégie de valeur repose sur 3 leviers, des contextes premiums s’appuyant sur nos 700 journalistes ; notre data First party avec notre écosystème SONAR. En un an d’activité, le chiffre d’affaires data a été multiplié par deux comparativement à 2021. SONAR nous permet de faire émerger, avec beaucoup de granularité, la singularité de nos audiences. Et puis enfin, nous souhaitons faire émerger de nouvelles métriques comme l’attention pour mieux qualifier l’expérience publicitaire dans nos environnements. En exclusivité, je peux vous révéler que la régie noue un partenariat avec la société adtech « xpln.ai », cofondée par Fabien Magalon, pour mesurer et optimiser l’attention publicitaire, et identifier les emplacements les plus générateurs d’attention. J’ai la conviction que la mesure de l’attention s’imposera comme un nouvel indicateur pour la mesure d’efficacité.

100%Media : Le Parisien a récemment fait sa une sur les congés menstruels chez Carrefour. Comment expliquez-vous que cela aurait été inimaginable ces dernières années ?

C.M : Nos efforts en termes de formation, de sensibilisation, de recrutement portent leurs fruits. Former pour mieux appréhender les enjeux sur la diversité, pour que équipes, les rédactions soient davantage représentatives de la population, pour que les experts sollicités soient également plus divers… Les Echos et Le Parisien ont des chartes qui fixent des critères précis de féminisation et de pluralisme des équipes et des experts. Cette Une du Parisien et plus largement le dossier qui est consacré à l’initiative de Carrefour sont les illustrations concrètes que ce qui se passe à l’intérieur, se ressent et se voit à l’extérieur. C’est le pouvoir prescripteur, projectif des médias pour contribuer à changer les mentalités et les comportements. La Une qui porte sur l’initiative de Carrefour d’accorder 12 jours d’absence par an à ses collaboratrices atteintes d’endométriose, est aussi le témoignage d’une société qui se transforme et de la dynamique motrice et contributive des entreprises au changement des mentalités et des comportements.

100%Media : En tant que Chief Impact Officer, que fait le groupe autour de ces sujets ?

C.M. : Le point de départ est notre raison d’être, « favoriser l’émergence d’une nouvelle société responsable en informant, mobilisant et accompagnant chaque jour les citoyens et les entreprises ». Sous l’impulsion de Pierre Louette, nous avons fixé 2 axes majeurs de transformation qui sont d’agir en tant que média et d’agir en tant qu’entreprise. Nous sommes maintenant en pleine phase d’accélération. Il s’agit de faire évoluer nos contenus et nos pratiques autour de nos trois priorités ESG. Un de nos principaux enjeux est de transversaliser nos contenus, de faire en sorte que l’environnement, l’inclusion, la diversité …, irriguent tous nos contenus et tous nos événements. La Une du Parisien sur les congés menstruels chez Carrefour, ou celle sur le rapport du GIEC qui titrait « On peut encore agir », sont des exemples de transversalisation réussie.

Quant à la régie, elle prolonge l’engagement du groupe et son ambition d’être créateur de valeur, créateur de croissance durable. C’est un vrai élément de différenciation.

100% des collaborateurs de la régie sont formés à la Fresque du Climat et Fresque de la Publicité. Autre exemple, nous avons lancé la calculette « Pi », un outil pour calculer l’empreinte carbone des campagnes publicitaires digital, print numérique et print papier, conçu avec Ekodev et en partenariat avec M Publicité et MEDIA.Figaro.

100% Media : La publicité vertueuse en termes d’empreinte carbone est-elle possible ?

C.M. : Oui, la publicité plus vertueuse et moins carbonée est possible, à condition que chacun prenne sa part. Nous proposons des solutions publicitaires qui favorisent la sobriété numérique. Par exemple, « Low Impact » offre un cadre de diffusion vidéo publicitaire bas carbone ; avec une diffusion plutôt en Wifi qu’en 4G, sur mobile vs desktop, avec des spécifications techniques adaptées, etc. Cela nous a permis de réduire de 26% l’empreinte carbone d’une campagne pour Mastercard, soit l’équivalent d’ 1 aller Paris-Lyon en voiture.  Nous adressons un autre grand chantier, celui de l’optimisation de la chaîne de valeur programmatique avec un partenariat avec Greenbids. L’objectif est de réduire l’impact carbone en simplifiant les chemins d’accès aux inventaires des publishers et en arbitrant le mieux possible entre coût carbone et performance des impressions.

La condition de la transformation de notre secteur est d’objectiver et d’améliorer nos mécanismes de mesure, Ma conviction est que nous devons penser un nouveau ROI, complété par un COI. Autrement dit un Cost Of Impact, qui intègre le coût des impacts environnementaux, sociaux et sociétaux dans la mesure de la performance de la communication.

Propos recueillis par François Quairel

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